[Giggle]La tempête

les Chroniques de l'Apocalypse en PBMs...

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[Giggle]La tempête

Message par Giggle » 11 Mai 2005 16:18

La tempête faisait rage sur les côtes de Palestine, une tempête comme seule la mer Méditerranée sait en faire: soudaine, imprévisible et emplie d’une violence de fin des temps.
Sur une plage de sable blanc déserte, au milieu des dunes, une fillette assise, seule, offrait son visage au vent et aux embruns. Ses longs cheveux noirs bouclés volant dans la tempête hurlante, la fillette ne bougeait pas.
Elle réfléchissait.
Spectacle étrange que celui d’une enfant de 6 ans assise sur une plage par une nuit de tempête.
Mais Néferkaré réfléchissait, immuable telle la terre, telle l’infinité de grains de sable qu’elle sentait sous elle.
Bientôt dix ans qu’elle avait fuit le sanctuaire de l’Occident lointain où elle croyait avoir trouvé refuge. Bientôt dix ans qu’elle se cachait dans les frontières de l’empire romain.
Et hier, elle était morte.
Shawny me manque.
La vieille femme qu’elle habitait depuis des décennies était morte dans son sommeil, forçant Néferkaré à trouver refuge dans le corps de cette fillette. Elle avait fui à toute jambe puis s’était assise ici pour réfléchir, pour faire le point.
Et cette petite Sarah que j’entends hurler de terreur.
Le vent redoublait de violence autour d’elle mais elle ne s’en rendait pas compte, l’esprit concentré sur ses interrogations. Néferkaré se sentait attirée par ces terres depuis des années et n’avait toujours pas compris qu’est-ce qui l’avait appelé ici.
Qu’est ce que je fais dans ce pays, qu’est ce qui m’a mené en Palestine ? Il n’y a rien pour moi ici, rien que la mort de la main des suivants de Prométhée... Je suis toujours un bloc de pierre incapable d’émotions, incapable de rire comme de pleurer. Ici ou ailleurs, finalement, quelle différence ? Ils m’ont retrouvée à l’autre bout du monde… Tous ces grands projets de paix et de concorde, tous ces efforts, autant d’échecs sanglants.
Ses idées se bousculaient sans cohérence, devant ses yeux défilaient les images des traques auxquelles elle avait échappée tant de fois, tous les pièges qui s’étaient refermés sur elle.
Quel gâchis. Ma vie depuis l’Egypte n’a été qu’un énorme gâchis. Je n’ai pas progressé d’un pouce, je ne me suis pas rapproché de l’humanité, je n’ai rien compris, rien appris. Qu’est-ce qui peut m’attendre ici ? Un nouveau massacre, un nouvel espoir déçu ? Ils me retrouveront et je fuirai à nouveau en laissant derrière moi des dizaines des corps sans vie.
L’envie d’en finir, à nouveau la hanta. L’envie de ne faire plus qu’un avec les champs magiques originels, d’une façon ou d’une autre. L’envie de retourner dans son monde et de laisser celui-ci à ses habitants légitimes.
Et soudain, elle le sentit.
Et elle comprit ce qui l’avait guidé vers cette plage.
-Enfin, dit-elle à voix haute en ouvrant les yeux.
Au large, une montagne d’eau était apparue. Une montagne gigantesque au milieu d’une mer déchaînée. Une montagne d’eau qui se dirigeait vers le rivage et qu’elle pouvait apercevoir grâce aux éclairs qui zébraient le ciel.
Un effet-dragon, un énorme effet-dragon d’eau.
Néferkaré savait que pour cette créature, elle était telle un phare brillant dans la nuit. Cette fois-ci, il n’y avait aucune chance pour qu’elle s’en sorte mais cela ne l’inquiétait pas.
Résolue, elle se leva et s’avança vers le rivage.
Elle eu une pensée pour son simulacre, une pensée attristée à l’idée de savoir qu’en disparaissant, elle allait aussi faire disparaître cette fillette. Mais le cycle des incarnations allait cesser pour Néferkaré, elle ne ferait plus souffrir qui que ce soit.
Plénitude, unité, enfin…
Apaisée, elle tendit les bras en croix et attendit. L’effet-dragon avait l’apparence d’une gigantesque baleine longue de plusieurs centaines de mètres et se dressait à moitié hors de l’eau face à elle.
Fais ton œuvre, créature de Ka, fais ton œuvre qu’on en finisse.
Et pourtant, la peur était là, quelque part, comme palpable. Néferkaré savait qu’elle n’avait plus peur en cet instant et elle doutait que cet effet-dragon puisse être effrayée de quoi que ce soit.
D’où provenait la peur ?
Néferkaré ferma les yeux . Quand elle les rouvrit, ils étaient devenus blancs et le corps de Sarah fut parcouru de convulsions. La vision-ka lui révéla, enchaîné au centre de l’effet-dragon, la présence d’un pentacle, un autre déchu bien vivant et terrorisé.
Tout se bouscula en elle, cet effet-dragon n’allait pas la tuer, il allait la torturer et la condamner à une éternité de souffrance comme il le faisait au même moment avec un autre. Ce qui s’offrait à elle n’était pas une délivrance, c’était un esclavage.
Est-ce ainsi que finit mon chemin ? Tu n’es pas ma fin, monstruosité, c’est moi qui suis la tienne.
Alors que la bête se dressait au dessus des flots et atteignait les nuages, Néferkaré s’avança dans les vagues. Elle dressa le poing vers l’immense créature et se mit à hurler avec la voix fluette d’une fille de 6 ans.
-Tu n’as pas plus de droit que nous à la vie, dragon ! Tu n’es pas de ce monde non plus, laisse nous en paix et retourne d’où tu viens !
Bouleversée par le rayonnement du pentacle qu’elle venait d’apercevoir, elle ne se rendait même pas compte de son impuissance face à la créature apocalyptique. Le monstre poussa un cri qui couvrit jusqu’aux hurlements de la tempête puis il fondit vers la lumière qui l’avait guidé jusqu’à ces rivages.
Il tomba tel une avalanche et Néferkaré se crut perdue. Mais cela n’était qu’un détail pour elle. A ce moment, elle restait fascinée par le pentacle qui se débattait et hurlait, enchaîné dans l’effet-dragon.
Elle ressentit sa douleur. Elle ressentit sa peur. Elle ressentit, elle qui ne ressentait jamais rien. Et elle eu le sentiment diffus qu’elle connaissait ce déchu depuis toujours. Ses cris perdus dans la tourmente passèrent de l’Araméen à l’Enochéens sans qu’elle s’en rende compte et ils se propagent dans les champs magiques.
Et le déchu prisonnier répondit.
Et au milieu d’un fracas de Ka-éléments et des champs magiques bouleversés, alors que le dragon d‘eau s’abattait sur Néferkaré, ils se comprirent.
L’espace d’un instant, leurs âmes furent à l’unisson et l’effet-dragon, comme foudroyé, resta suspendu au dessus de la plage.
-Je suis ta fin, monstruosité, je suis ta fin et pour nous, tout commence !
La créature sembla exploser dans le ciel et s’effondrer sur la plage telle un nouveau déluge. Néferkaré fut emportée par les trombes d’eau mais elle sentit son frère déchu se libérer de ses entraves.
Une vague la jeta finalement sur le rivage et elle mit un moment à reprendre ses esprits. La tempête était finie et la mer était d’huile. Le vent ne soufflait plus et la lumière des étoiles éclairait la plage de sable blanc.
A quelques pas d’elle, Néferkaré aperçut une masse sombre. Le corps d’un homme.
Elle courut aussi vite que lui permettait son corps à bout de force et s’effondra enfin aux côtés de l’inconnu. Ses traits ne lui rappelaient aucun peuple connu, ses cheveux étaient bleus et des tatouages étranges parcouraient son corps.
Il ouvrit péniblement les yeux et la regarda. Elle lui sourit puis lui parla en énochéen.
-Je me nomme Néferkaré, qui es-tu, inconnu sauvé des eaux.
Dans son état de faiblesse extrême, l’homme eu du mal à répondre et Néferkaré put s’apercevoir que le Khaiba marquait son pentacle d’hydrim.
-On m’appelle Jonas…
D’instinct, Néferkaré sera la tête de l’homme contre elle.
-Jonas sauvé des eaux, murmura-t-elle.
-Tu as fait lever le soleil à nouveau pour moi, répondit-il, les yeux fixés vers le ciel.
Sans comprendre, Néferkaré leva le regard vers la voûte étoilée et y vit une étoile brillante de mille feux qu’elle n’avait jamais vu avant. Une étoile bien trop brillante pour être normale et qui semblait se déplacer lentement, comme pour indiquer une direction vers l’intérieur des terres.
Je vais mourir, je vais mourir.
Je vais vivre, je vais vivre.
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Giggle
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Message par Giggle » 12 Mai 2005 14:37

-Tu es certain qu’il est là ?
-Tu as perçu le plexus comme moi, il ne peut pas être très loin, continuons à remonter la rivière.
Néferkaré trébucha sur une pierre qu’elle n’avait pas vue. Jonas la rattrapa in extremis.
-J’en ai plein les pieds, dit-elle en gémissant. Je n’ai rien contre les balades en forêt mais nous n’avons ni couverture, ni provision ni même la moindre idée d’où nous sommes…
-Il n’y a rien à craindre, répondit Jonas en l’aidant à se redresser, il y a un temple en haut de la montagne, tant que nous montons, nous sommes sur la bonne voie.
-Je n’aime pas ta logique géographique, grommela Néferkaré alors qu’ils reprenaient leur marche.
Se plaindre était encore le meilleur moyen qu’elle avait trouvé pour oublier qu’elle avait peur. La nuit précédente, ils avaient perçu la formation d’un plexus sur le Mont Umeki et Jonas avait annoncé qu’un effet-dragon était sans doute né du phénomène. Il s’était alors mis en tête de l’abattre pour l’empêcher de nuire.
Néferkaré n’avait rien pu faire d’autre que de le suivre mais elle ne manquait pas de marquer ses craintes avec force gémissements et plaintes.
Que de chemin parcouru, songea-t-elle soudainement. Que de chemin parcouru depuis le temps où j’errais toute seule, incapable d’extérioriser quoi que ce soit. Me voici avec Jonas, en train de me plaindre de tout et de rien, comme si mes paroles étaient le reflet de mon âme.
C’est pas comme mon corps dit-elle en s’arrêtant pour regarder son image dans le cours d’eau.
Deux années auparavant, dans la province de Kaga, Jonas et elle s’étaient retrouvés dans un combat entre des paysans en révolte et des soldats du seigneur local. Un mauvais coup de lance avait abattu le simulacre de Néferkaré qui avait alors dû prendre possession du corps d’un des soldats.
Ce cours d’eau de montagne lui renvoyait donc le reflet d’un homme magiquement rajeuni et cette image la désolait, elle qui était profondément attachée aux principes féminins du pilier de la sévérité de l’arbre de vie.
-Nef, tu viens ?
L’appel de Jonas la tira de ses pensées.
-J’arrive, dit-elle en le rattrapant, on est quand même pas pressé à ce point !
Jonas lui répondit par un sourire et attendit qu’elle arrive à sa hauteur.
Lui aussi avait du mal à s’habituer au nouveau simulacre de Néferkaré et il avait craint que ce changement nuirait à leur complicité. Mais finalement, elle était restée telle qu’il l’avait toujours connue avec son caractère variable, oscillant entre la bonne humeur la plus turbulente et le calme méditatif.
-Là-bas, dit-il en indiquant l’amont du doigt. Il y a une route et un gué.
-Fantastique, répondit Néferkaré, nous allons pouvoir prendre la route et ce soir, nous dormirons dans un endroit sec et chaud !
Jonas fronça des sourcils en la regardant.
-Ou alors, poursuivit-elle en ronchonnant, nous allons continuer à nous esquinter les pieds et les genoux sur ces galets aiguisés comme des couteaux pour traquer une créature qui ne fera qu’une bouchée de nous.
-Ou qui ne fera qu’une bouchée d’un autre que nous. Nous devons nous assurer qu’il n’y a rien de dangereux dans cette montagne.
Néferkaré ne semblait pas rassurée par cette remarque.
-Ne t’inquiète pas, reprit Jonas. Cette fois, je te protègerai.
-Alors là ça change tout, s’exclama Néferkaré, je ne laisserais ma place pour rien au monde.
Sans que Jonas ne puisse rien faire, elle posa un baiser sonore sur sa joue et partit en courant. C’était vraiment une chose à laquelle il n’arrivait pas à s’habituer depuis que Néferkaré s’était retrouvée dans ce nouveau corps.
Il avait essayé de la convaincre de se débarrasser de ce simulacre et de trouver une vieille femme mourante qu’ils auraient guérie et rajeunie, comme ils faisaient depuis des siècles. Mais elle avait mit un point d’honneur à ne changer de simulacre qu’en cas d’absolue nécessité et elle disait que le soldat qu’elle habitait ne méritait pas une telle fin.
En la regardant s’éloigner, Jonas se dit qu’elle aurait au moins pu faire l’effort d’arrêter de sauter au cou de tout le monde, attitude qui était déjà assez mal vue quand elle avait un corps de femme et qui la rendait éminemment suspecte maintenant qu’elle avait un corps d’homme.
Soudain, Néferkaré se figea. En se retournant, elle fit signe à Jonas de la rejoindre derrière un tronc d’arbre.
-Des bruits de sabots, sur le chemin. Des gens viennent, souffla-t-elle quand il l’eut rejointe, ils vont traverser la rivière.
Déjà un groupe de voyageurs apparaissait derrière les arbres. Ils avaient le crâne rasé et étaient vêtus d’étoffe rouges. Des chevaux tenus par la bride portaient leurs bagages.
-Des moines, souffla Jonas.
-Quelle misère, se lamenta Néferkaré, ils doivent être aussi misérables que nous ! C’est à peine si…
Un geste impérieux de Jonas la fit taire. Le premier cheval, tenu par un jeune disciple, passait le gué. Sous lui, des remous commençaient à se former.
Jonas et Néferkaré passèrent d’instinct en vision-ka et purent contempler un plexus en formation et un effet-dragon naissant au sein des remous de ka-éléments.
Jonas sortit lentement son katana alors que Néferkaré se mettait à genoux en sortant un flacon d’encre de sa manche.
Mais les remous cessèrent aussi subitement qu’ils avaient débuté.
Les champs magiques retrouvèrent leur aspect et leur calme habituels. Les deux néphilims se regardèrent, intrigués, tandis que les voyageurs finissaient de traverser le cours d’eau.
-Pourquoi n’a-t-il pas bougé, demanda Néferkaré. Deux beaux pentacles comme nous, il aurait du nous sauter dessus sans attendre…
-Regarde, souffla Jonas.
Alors que les moines poursuivaient leur chemin sans avoir conscience de ce qui s’était joué, le cheval de tête cessa d’avancer. Malgré tous les efforts du disciple qui tirait sur sa bride, le cheval s’écarta du chemin puis se coucha finalement sur le côté.
Un vieil homme parmi les moines s’approcha de la bête en demandant ce qui se passait.
-Je ne sais pas Ienao-San, elle semblait en parfaite santé il y a quelque seconde à peine. C’est incompréhensible.
A leurs pieds, le cheval rendait l’âme sans que les hommes ne puissent rien faire pour lui.
Au bout d’un moment, le vieil homme décida de transférer les bagages du cheval vers les autres bêtes puis de poursuivre. Alors que les serviteurs s’affairaient, le vieil homme s’approcha du gué.
Une fois au bord de la rivière, il frappa dans ses mains et s’inclina deux fois puis se mit à genoux et se prosterna jusqu’à ce que son front touche la poussière de la route.
-Noble Kami de l’eau, dit-il d’une voix fatiguée, si notre présence t’a courroucée, je te présente nos excuses les plus humbles. La manifestation de ta puissance est un enseignement pour nous et nous te rendrons grâce dès notre arrivée au temple de Katori.
Il se releva, s’inclina à nouveau puis repartit vers les autres moines qui étaient prêt à partir.
Quand le groupe se fut éloigné, Jonas et Néferkaré sortirent de leur cachette.
-Je ne sens plus de perturbation dans les champs magiques, observa Néferkaré.
Jonas avançait prudemment le long de la berge.
-Moi non plus, dit-il. C’est incroyable, tu as vu le ka-soleil du vieux moine ?
-Brillant mais rien d’exceptionnel, tu crois que c’est à cause de lui que…
Les deux néphilims restèrent un instant sans rien dire, perdus dans leurs réflexions. Néferkaré prit finalement la parole.
-Ce vieux bonhomme m’intrigue.
-Moi aussi, répondit Jonas.
-Tu as dit le temple était en haut de la montagne, c’est ça ? Que dirais-tu d’aller y faire un tour ?
Je vais mourir, je vais mourir.
Je vais vivre, je vais vivre.
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Message par Giggle » 17 Mai 2005 14:16

Le village fortifié se dressait à flanc de colline, au milieu des rizières.
Une activité inhabituelle y régnait.
Le bourg se préparait à la guerre.
Partout, bêtes de sommes et petites charrettes se croisaient, transportant tout ce qui avait de la valeur dans l’enceinte de la cité. Des paysans en arme montaient la garde dans le bruit des travaux de consolidation des palissades.
Dans les rues du village et sur la place centrale, tous s’affairaient dans un tumulte incroyable.
Au centre de cette activité, la maison du chef de village offrait un contraste saisissant. Un groupe d’hommes discutait autour de tasses de thé. On pouvait reconnaître des villageois, des moines et des samouraïs pauvres, assis côtes à côtes.
-Les fermiers de la vallée sont formels, expliquait un vieux paysan, il s’agit d’au moins deux mille hommes, peut être trois mille.
Le souci se lisait sur son visage ainsi que sur celui de la plupart des participants.
-Qui les dirige ?
-On dit que le seigneur Asakura mène lui-même cette armée.
-C’est incroyable…
La conversation se poursuivait alors que la maîtresse de maison et sa fille remplissaient les tasses de thé vides.
Un vieux moine prit la parole à son tour.
-Je crois, dit-il d’une voix mesurée, je crois que leur objectif est la région des temples au nord de la province. En tout, on dit que ce sont quinze mille hommes qui s’y dirigent, le corps d’armée qui avance vers nous n’aura probablement pas le temps de s’attarder.
-Peut être même contourneront-ils le village, avança le ji-samouraï chez qui se tenait cette réunion.
Comme tous les paysans guerriers de la province de Kaga, il était en révolte contre le système féodal depuis quarante huit années. Sa situation l’avait poussé à renforcer les défenses du village mais jamais encore de telles forces n’avaient avancé vers lui. L’hypothèse que les envahisseurs contourneraient la place était son dernier espoir.
-Je ne compterais pas trop là-dessus, dit un homme qui était resté silencieux jusqu’à présent. Il y a quatre cents hommes armés dans ce village dont une centaine de moines Ikko, Asakura ne commettra jamais l’erreur de laisser une telle place forte derrière lui alors que son armée avance en plein territoire ennemi.
Un silence accueillit la remarque.
L’homme qui avait prit la parole semblait jouer d’un certain respect parmi les membres de l’assistance malgré ses vêtements usé et le bandeau qu’il portait serré sur la tête. Les sabres posaient à ses côtés l’identifiaient clairement comme un samouraï.
-Avez-vous une suggestion Jonas-sama, demanda le vieux moine. Comment leur résister ?
-A mon humble avis, ils ne prendront même pas la peine de vous assiéger, l’assaut sera rapide et sans merci. Vous devriez prendre tout ce que vous pouvez emporter et vous réfugier dans un endroit plus sûr.
Des protestations s’élevèrent parmi les hommes.
-Laisser nos terres ! Vous n’y pensez pas, le riz est prêt à être récolté !
-Et nos maisons, croyez-vous qu’ils les laisseront debout !
Jonas garda le silence et porta sa tasse de thé à ses lèvres alors que l’assistance s’échauffait.
Soudain, une voix se fit entendre, une voix féminine qui venait de la terrasse et qui fit taire tout le monde.
-Votre riz, vos bœufs, vos toits de chaumes… Avez-vous pensé à vos parents, vos femmes ou vos enfants ? Quel joie tireront-ils de notre mort à tous si les samouraïs l’emportent ?
Assise sur la terrasse, dos à l’assistance, Néfekaré jouait au bilboquet en regardant le jardin.
Jonas termina sa tasse de thé. Quand il eut fini, le vieux ji-samouraï reprit la parole.
-Vous avez raison Nefu-san, comme toujours, mais qu’adviendra-t-il de nous une fois l’hiver venu ? La province est pauvre et la guerre va la ravager, si nous ne protégeons pas le peu que nous avons, alors autant nous coucher en travers de la route et attendre qu’Asakura vienne nous égorger un par un.
-Mon ordre restera au côté des villageois, dit à son tour le vieux moine. Il est de notre responsabilité de préserver la paix de ce village et de repousser les oppresseurs.
Le chef de village s’inclina en murmurant des remerciements. Les moines Ikko étaient l’âme de la province de Kaga, c’est eux qui avaient insufflé le vent de révolte qui soufflait sur la région depuis 48 années maintenant et qui en avaient fait la première et unique Hyakusho mochi no kuni, une province dirigée par les paysans.
Si le doyen du monastère décidait de rester, les villageois se battraient à coup sûr.
-Nous ne remettons en cause ni vos motivations, ni la justesse de votre combat, dit finalement Jonas. Je pense que la situation nous est défavorable mais si vous restez, je resterai aussi.
Un soupir de résignation se fit entendre depuis la terrasse.
-Et bien, dit Néferkaré en posant son bilboquet, on dirait bien qu’il va falloir que je me trouve des vêtements plus adaptés.

-Ils vont tous mourir, tu le sais…
La nuit était tombée et la chambre de Jonas et Néferkaré était éclairée par une simple lanterne.
Jonas entretenait ses armes tandis que Néferkaré traçait des symboles sur des parchemins qu’elle roulait ensuite soigneusement et accrochait au fourreau de son katana. Elle avait été étonnamment silencieuse toute la soirée et on ne percevait rien de son excitation coutumière dans ses paroles.
-C’est probable, répondit Jonas.
-Trois mille samouraïs entraînés et en armure contre quatre cents paysans terrifiés, ils ne feront pas illusion plus d’une demi heure.
Néferkaré restait très calme, énonçant des faits qu’elle tenait pour garantis.
-Ils n’auraient pas changé d’avis de toutes façon.
-Mais pourquoi les aider, demanda Néferkaré. Si leur destin est la mort, pourquoi rester puisque nous n’y changerons rien ?
Jonas garda le silence un moment avant de répondre.
-Tu crois que j’ai accepté sur un coup de tête ?
-Je ne sais pas. Parfois, tu es impulsif, tu fais des choses sans ta soucier des conséquences.
-C’est vrai, c’est peut être dans ma nature. Mais pense à eux, Nef. Leurs chances sont minimes mais ils ne fuient pas. Nous ne pouvons pas partir alors qu’ils restent, nous sommes au dessus de ça.
-Il n’y a pas que nous monsieur le foudre de guerre, dit-elle. Tu as pensé à nos simulacres ? Cela fait plus d’un siècle que tu habites le tien, ça ne te fait rien de le mettre en danger ?
-Je n’y avais pas pensé, répondit Jonas.
-Evidement…
La conversation retomba.
Néferkaré ficela son dernier parchemin à son fourreau puis se leva. Elle alla poser ses deux sabres à côté de ceux de Jonas.
-Ils arriveront demain, souffla-t-elle.
-Oui.
-Et demain, nous serons samedi.
-C’est vrai.
-Nous sommes vraiment chanceux.
Jonas prit Néferkaré dans ces bras.
-Ne t’inquiète pas, je te protègerai.
-Même avec toi pour veiller sur moi, dit-elle, j’ai peur de ce qui va nous arriver demain…

La bataille s’engagea mal et ce, dès son commencement. Dépourvus d’archers compétents, les assiégés n’avaient pu empêcher les troupes disciplinées du seigneur Asakura Norikage de se déployer comme à l’exercice.
Très vite, une pluie de flèches s’était abattue sur les remparts alors que plusieurs béliers manœuvrés par des soldats en armure lourde montaient à l’assaut. La coordination des samouraïs était impeccable et seuls les abris de planche installés la veille avaient permis de limiter les pertes des rebelles.
Une fois arrivés au pied des remparts, les béliers furent accueillis par un déluge de projectiles divers qui ne les empêchèrent pas de commencer leur œuvre dévastatrice sur les palissades de bois.
Les paysans se groupèrent au niveau des murs qui étaient sur le point de céder afin d’empêcher les assaillants de pénétrer dans la ville. Déjà, nombre de blessés étaient amenés à l’arrière où étaient réfugiés les vieillards, les femmes et les enfants.
Jonas et Néferkaré se tenaient côte à côte dans la masse anxieuse de paysans qui attendaient que les portes volent en éclats. Les deux néphilims n’étaient guère mieux vêtus que la plupart de ces soldats de fortune mais ils se distinguaient par leur calme au milieu de l’angoisse ambiante.
Finalement, le mur céda en plusieurs endroits. Face à Jonas et Néferkaré, des samouraïs en armure lourde franchirent les derniers obstacles et se ruèrent au combat.
Ils furent accueillis par un mur de piques qui tenta tant bien que mal de les repousser hors de l’enceinte.
Mais les samouraïs étaient bien équipés, entraînés depuis l’enfance et en surnombre. Les paysans n’avaient aucune chance. Seuls les moines armés de lances et de naginata parvenaient à maintenir un semblant de cohésion autour de la chasse bouddhiste qui leur servait d’étendard.
Au milieu de la mêlée, les deux néphilims se tenaient debout sur un champ de cadavres. Jonas faisait son possible pour barrer le passage à tous ceux se dirigeaient vers Néferkaré tant et si bien qu’elle n’eut bientôt plus que le dos de l’ondin comme champ de vision. A leurs côtés, les paysans tombaient les uns après les autres dans un terrible massacre.
La défaite ne faisait aucun doute.
Mais pour aussi entraînés qu’ils soient, aucun samouraï ne pouvait s’approcher de Jonas et donc de Néferkaré. Bientôt, il se trouvèrent seuls, dos à dos et encerclés par leurs assaillants qui restaient cependant à distance prudente. Derrière eux, des incendies se déclaraient et les cris de terreur de femmes et d’enfants indiquaient que les samouraïs avaient atteint le centre du village et que le massacre commençait.
-Jonas, cria Néferkaré, c’est la fin.
Jonas ne répondit pas, son trouble était perceptible.
Après avoir éloigné quelques samouraïs trop téméraires de quelques coups de katana, Néferkaré se retourna pour voir ce qui perturbait l’ondin. Face à lui se tenait un géant aux traits étrangers, engoncé dans une armure d’or d’origine inconnue et qui brandissait un énorme sabre.
Jonas murmura :
-Orichalque.
Aucune vision-ka ne fut nécessaire à Néferkaré pour comprendre que le géant était une véritable menace pour leur existence même.
-Une arcane mineure, bredouilla-t-elle, mais… comment ?
Jonas n’eut pas le temps de répondre car le géant se jeta sur lui en rugissant, le sabre dressé.
L’ondin tenta de profiter de l’ouverture mais il sous-estima la vitesse de son adversaire et dû se jeter sur le côté pour éviter le sabre qui plongeait sur lui. Il n’eut pas le temps de se remettre debout que déjà il devait parer une autre attaque.
Les deux lames s’entrechoquèrent en un éclat mais le katana de Jonas ne fut pas assez résistant. Sa lame fut brisée et le sabre mordit la chair de son simulacre.
La lame maudite s’éclaira alors de multiples glyphes et Néferkaré put ressentir le cri de douleur de Jonas qui semblait de propager dans les champs magiques.
D’instinct, elle chargea le géant en armure d’or et d’un coup de katana, l’obligea à reculer alors que le corps de Jonas, couvert à son tour de ces mystérieux glyphes, retombait sans vie.
« Mais qu’est ce que c’est que cette arme », se demanda Néferkaré alors qu’elle essayait de faire battre le géant doré en retraite. Elle cherchait avant tout à éviter d’entrer en contact avec l’arme qui avait blessé Jonas.
Le géant brilant tel un soleil se mit à rire et avant que Néferkaré ne comprenne, elle sentit le contact d’une lame que l’on plantait dans son flanc.
Je suis stupide, songea-t-elle.
De sa main gauche, elle dégaina son wakizashi, le deuxième sabre qu’elle portait au côté et sans même se retourner, elle trancha la gorge du soldat qui l’avait attaqué dans le dos.
Ses ennemis s’écartèrent à nouveau alors qu’elle brandissait ses deux sabres. Sa vue commençait à se brouiller et elle se sentit vaciller.
Finalement, elle mit un genou à terre, les armes toujours en main.
Face à elle, le géant s’avança à nouveau, un sourire aux lèvres. Il brandit son arme au dessus de sa tête et s’apprêta à porter le coup de grâce.
Mais au moment où son bras retombait pour frapper, Néferkaré porta son dernier effort et, de ses deux sabres, trancha la main du géant. Ce dernier s’écarta à nouveau en hurlant et en se tenant le bras. Son arme et sa main gisaient à terre, dans la boue et le sang.
Néferkaré se redressa péniblement, un rictus sur les lèvres. Intérieurement, elle n’en menait pas large mais elle n’allait pas partir seule et emporterait avec elle tous les membres d’arcanes mineures qui croiseraient le fer avec elle.
Elle n’eut pas ce plaisir : au milieu des samouraïs se tenait un autre étranger vêtu de façon étrange qui tenait dans le creux de son épaule un tube de métal enchâssé dans un morceau de bois.
Elle put saisir un coup de tonnerre alors que le ciel était sans nuage, elle aurait pourtant juré avoir vu un éclair et elle sentit son corps se vider de son sang.
C’était la première fois que Néferkaré rencontrait une arme à feu européenne.
Ses sabres lui échappèrent finalement des mains et elle s’effondra sur le corps de Jonas. « Blessure au foie, songea-t-elle, je vais me vider de mon sang et mourir lentement et dans la douleur ».
Elle eut une pensée pour Sakura, son simulacre dont elle commençait à se détacher.
Mais soudain, elle sentit que quelque chose se passait mal, que quelque chose la retenait dans ce corps mourant. La terreur l’emplit à nouveau alors qu’elle reprenait peu à peu, malgré elle, le contrôle des sens de son simulacre.
Elle entendit dans le lointain des paroles dans un langage inconnu, puis d’autres, prononcées dans un japonais hésitant.
-Votre aide fut très précieuse seigneur, nous n’oublierons pas ce que nous vous devons.
-Je n’ai que faire de votre gratitude, vous avez ce que vous vouliez, donnez moi ce que je veux.
-Bien sûr, bien sûr, vous aurez vos armes et notre soutien. Vous n’aurez pas à regretter cet accord. Avec ces deux misérables, nous vous fourniront un appui de choix dasn les troubles qui s’annoncent.
Néferkaré perdit alors tout perception de son environnement alors que son simulacre expirait. Une grande sensation de froid la saisit et elle se sentit plonger dans le néant alors que la terreur qui l’habitait se muait en images et en sensations presque palpables.
Je vais mourir, je vais mourir.
Je vais vivre, je vais vivre.
Voici l'Homme Chevelu qui a fait briller le soleil à nouveau pour moi.
Là haut, encore plus haut,
En haut de l'échelle,
Le Soleil brille.
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Giggle
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